Fazenda Nova, le 10 décembre 2004.
Chers Amis,

Cette année fut riche de rencontres, événements et orientation de choix de vie. Du 6 au 29 janvier, fut organisée ici pour tout le Brésil une retraite dans la ligne spirituelle du frère Charles de Foucauld appelée “Mois de Nazareth”. J´ai saisi cette chance pour une fois encore chercher Dieu dans le magnifique écrin des collines de Goiás et le silence de mon coeur, occasion offerte de méditer l´Evangile à la lumière des écrits de ce contemplatif qui s´est approché du peuple touareg par une vie pauvre et un engagement radical, absolu, tentant d´imiter parfaitement la vie cachée de Jésus à Nazareth.

Le Christ se rencontre dans l´Evangile, l´Eucharistie et la personne celui ou celle qui est à côté de nous, spécialement le pauvre. Ces 24 jours de retraite m´ont aidé à reprendre conscience que chaque minute est importante quand on désire partager les difficiles conditions de vie des plus pauvres marqués en leur esprit et leur chair par leurs lumières et leurs ténèbres, leurs joies et leurs peines, leurs réussites et leurs échecs. Les ingrédients de ce temps fort spirituel furent la vie au grand air, la communion avec la nature, la  célébration  eucharistique, l´adoration en silence, le travaille manuel communautaire, l´écoute attentive de chacun partageant les petits et grands faits de sa vie.

Un fait interpellant a marqué notre prière : la menace de mort de Pedro Casaldáliga, l´évêque engagé de São Félix do Araguaia. Il lutte pour l´octroi de terres dignes aux peuples indigènes pour lesquels la Terre est la Mère, divinité qui engendre toute Vie. Les communautés indiennes sont déplacées, expulsées de leurs territoires quand ceux-ci représentent de plantureuses zones forestières ou recèlent des mines d´or, d´argent, de diamants et autres richesses exploitables. Des conflits éclatent. Secrètement et sans hésitation, certains puissants, pour quelques milliers d´euros, se payent le concours de pistoleiros pour abattre  qui ose se mettre en travers du chemin de leurs affaires. Dom Pedro bénéficie à présent d´une discrète protection rapprochée.  Inlassable témoin d´espérance, humble combattant pour la justice, il est toujours vivant.

 Pour la petite histoire, c´est au cours de ce temps de méditation dans le silence que je suis passé en direct dans l´émission radio “Les Belges du Bout du monde” animée par Adrien Joveneau. Isolé dans ce cadre bucolique, en communion avec la nature, démuni de mes listes téléphoniques et de l´ordinateur pour envoyer quelques e-mails, je n´ai pu prévenir personne. Ce fut une totale et très agréable surprise, une grande joie et un excellent moment pour partager sur les ondes en ce dimanche 25 janvier à 4 heures du matin notre lutte au côté des Paysans Sans Terre, les perspectives économiques et sociales du gouvernement Lula sans oublier, il va sans dire à cette époque, les rythmes sambatiques du Carnaval.

 Que m´a apporté ce Mois de Nazareth ? Avec Pedro Casaldáliga, cette réflexion gravée dans mon coeur comme un mantra : “Ne pas perdre la radicalité, maintenir la transparence et ne jamais oublier l´espérance.” Le fait de contempler illumine nos journées et plus que jamais devient comme le centre de l´existence d´où se répartissent tous les rayons de nos engagements.  Pour cela, je me lève tôt : la fraîcheur et le silence de la nuit laissant place au jour est un moment magique pour  méditer la Vie.

Avec Helder Camara : “Maintenir l´esprit prophétique.” Que ne se perde tout l´acquis des valeurs humaines. Privilégier l´ "être" au "faire".  Vivre selon un rythme équilibré.   Organiser comme une précieuse respiration ses temps d´action et de repos. D´ici 20 ans, que restera-t-il de notre activisme ? Du  27 au 29 décembre, je me suis déjà réservé 3 jours de détente tout comme du 11 au 13 janvier. Chaque jour, la secrétaire paroissiale arrive à 8 heures : je reviens de ma prière passée à l´église et nous déjeunons ensemble. La journée peut apporter son lot d´imprévus. Les jours où je parviens à faire mes  3/4 d´heure de marche, je suis vraiment heureux : c´est la pleine forme, le bonheur, la joie intérieure.

Le risque existe réellement de nous perdre dans les dédales de tout ce qui nous est gentillement offert. Ne nous faut-il pas chercher à acquérir une solide spiritualité parfois au prix de certains efforts consentis ? Une maman m´écrivait avoir eu quelques soucis avec ses deux adolescents à l´école, portés aux récrés à se défendre avec les poings. Pour les faire réfléchir sur le thème de la non-violence, elle  les a envoyés faire une retaite-service. Un dimanche, elle les a emmenés à la messe où le message était bien d'actualité pour eux : “L'amour est patient, il supporte tout.” En famille, ils comptent réinstaurer la pratique religieuse systématique.  Elle concluait : “Nos jeunes manquent de repères.”

Du 10 au 17 juillet, Fazenda Nova a vécu au rythme des Saintes Missions Populaires, une grande animation menée par des missionnaires locaux et de tout le diocèse.  Dans un climat de joie fraternelle, nous avons partagé de maisons en maisons la simplicité de l´accueil et l´écoute des personnes, seules ou en famille, à la lumière de l´Evangile.

Une telle semaine de rencontres et d´animations ne se réussit que moyennant de nombreux moments de préparation avec les communautés chrétiennes et la population locale.  C´est tout un travail d´équipe visant la manière d´être témoins ensemble d´une bonne nouvelle qui s´annonce, se partage et se fête. Dès le mois de février, le centre, les périphéries et les zones rurales éloignées de la ville ont été divisés en secteurs de mission ayant chacun son équipe de coordination locale. Au cours de réunions mensuelles, l´équipe centrale a stimulé chaque secteur à approfondir les thèmes choisis pour la grande semaine de rencontres en juillet :  tendresse et compassion du Christ, prière et méditation personnelle, béatitudes et malédictions de Jésus, amour gratuit, solidaire et efficace, pardon et fidélité à l´Evangile, communautés de base et présence transformante de l´Esprit-Saint, louange et engagement.

Comme thème principal, nous avions choisi : "Saintes Missions Populaires : Temps de Grâce pour Tous". Ce fut tout un processus basé sur l´écoute et le respect en rencontrant les personnes dans leur cadre quotidien. Chaque jour, des familles différentes préparaient les repas, les prières, les soirées : tout le monde était preneur, s´animait et se responsabilisait.  Nous avons imprimés 400 livrets de textes et de chants, 4.000 affichettes, acheté 250 petites croix, quatre couturières locales ont confectionné 224 musettes, payé le matériel didactique, les décorations, les voyages en bus des animateurs des 2 retraites préparatoires, l´alimentation, le téléphone, l´essence...

J´ai vécu ainsi la plus intense de mes quatre années "brésiliennes".  Je suis toujours émerveillé de tant de créativité, tant de générosité, souvent pauvre en moyens mais très riche en joie évangélique. Allez voir les photos sur le site internet.  Je partage des réalités souvent très dures mais beaucoup sont illuminées de cette solidarité prophétique qui nous dit qu´un autre monde est possible et qu´il suffit d´un peu de levain dans deux ou trois mesures de farine pour faire lever toute la pâte !

Qu´un Noël béni ravive dans le coeur de tous le désir profond de s´engager pour plus d´Espérance, de Justice et de Paix.  Que l´année 2005 soit la meilleure pour vous et en particulier pour tous les exclus de l´Amour et de la Solidarité. “ Um forte abraço para você ! ”

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