" Cartîgna " :   Petite lettre brésilienne
Fazenda Nova, le 17 novembre 2003.

Chers Amis,

Le Brésil est-il en train de changer ? Depuis le début de l´année, le nouveau Président Luis Inácio Lula veut être le Président de tous les Brésiliens. Son gouvernement réoriente les institutions nationales dans le sens d´une meilleur répartition des richesses en faveur des plus défavorisés. Le projet "Faim-Zéro" a été lancé dans le Nordeste. Vous lisez les articles de journaux qui analysent notre situation économique et sociale.

Mais que peut-il se réaliser sans notre appui et nos actions de terrain ? Ici à Fazenda Nova, aidés par la pastorale sociale du diocèse, nous menons des actions de prise de conscience des réalités locales. Tout un processus de lutte pour réduire la misère des familles des quartiers pauvres est entamé et sa mise en pratique relève de notre responsabilité.

Lutter pour réduire la misère en nous unissant mieux n´est pas qu´une question de moyens techniques : cela passe aussi par le développement d´une mystique. C´est pourquoi, pour mener à bien notre travail social, nous nous retrouvons pour approfondir notre spiritualité. A l´occasion d´une des formations, en comparant les deux textes évangéliques de Matthieu 14, 15-20 et Matthieu 26, 26-28, nous est apparue une nouvelle dynamique.

A savoir : il nous appartient l´obligation de créer les conditions concrètes pour que puisse se réaliser le fait extraordinaire et heureux que tous mangent à leur faim. Le rôle de nos communautés chrétiennes n´est pas seulement de produire le riz et le feijão... mais de mettre en place les structures nécessaires pour que cette production advienne. Il est donc indispensable de lutter pour une réforme agraire en vue de redistribuer les terres équitablement, de nous battre pour des salaires décents qui correspondent au coût de la vie... Bref, d´assumer nos responsabilités dans le champ politique.

L´idée a donc surgi de proposer à la prochaine Assemblée Diocésaine de veiller à former les ministres de l´eucharistie non seulement en vue du service liturgique mais également en vue d´une action sociale auprès des plus pauvres. Célébrer l´eucharistie est un acte intimement liée à la juste répartition du riz et du feijão de tous les jours. Recevoir la communion avec le peuple qui souffre : c´est se solidariser avec l´opprimé.

Il ne se passe pas une semaine que je ne visite un "acampamento". De nombreuses familles vivent sous des toiles de plastique et dans des cabanes de branchages regroupées en campements en bordure des routes. Ils sont affiliés au Mouvement des Sans Terre (MST) ou au Syndicat Rural. Ce sont des familles sans grands moyens financiers. Les hommes vont à la recherche d´un travail journalier dans les fermes des environs pour gagner un peu d´argent.

Il y a quatre "acampamentos" à Fazenda Nova, des dizaines dans le diocèse, des milliers dans tout le Brésil. C´est une militance courageuse qui s´organise. Elle négocie avec le gouvernement une juste redistribution des terres. Mais toucher aux biens de puissants propriétaires n´est pas sans risques...

Le 3 juin dernier, à la demande d´un puissant propriétaire, 300 policiers sont arrivés pour déloger 200 familles qui occupaient une terre de la Ferme Bradesco située à 15 km d´ici. Ont-ils reçu un bon incitant financier pour agir avec violence ? Cagoulés, mitraillette au poing, avec chiens et chevaux, ils ont semé la terreur et traumatisé femmes et enfants. C´était la panique pour ces gens de la campagne. Un homme âgé de 75 ans qui n´obtempérait pas assez vite pour se mettre à plat ventre a eu le bras cassé par un coup de matraque. Une jeune femme enceinte a perdu son enfant suite aux coups des policiers. Le médecin qui l´a visitée a refusé de faire une attestation par peur d´éventuels ennuis. Il y eut le saccage de toutes leurs provisions et encore de nombreux autres actes d´humiliation.

Le patron de cette ferme habite à São Paulo. Faute de documents légaux, il n´est pas à même de prouver sa propriété. Il se l´est appropriée voici 40 ans en intimant les familles qui vivaient sur place à vider les lieux ou de se mettre à son service. Moyennant finance et promesses, des gens d´ici l´ont aidé dans son oeuvre de conquête ! Exactement comme on le voit dans les films de western : un homme aux puissantes relations fait cisailler les clôtures des pâtures de modestes paysans sans défense, fait empoisonner l´eau de leur bétail, leur rend la vie impossible pour les forcer à partir, puis se trouve un député corrompu pour légaliser "son" bien. Ici tout le monde se souvient de ces hors-la-loi sans scrupules et de leurs méthodes. Et ce cas n´est pas un cas isolé !

Le délégué de la police civile, sur base de quelques témoignages de policiers, a rendu son rapport au juge qui a mis en prison deux militants connus du Mouvement des Sans Terre et deux jeunes paysans pris au hasard. Il en fallait 4 pour les accuser de formation de bande. La bureaucratie judiciaire, la grande indifférence et la peur de la population de Fazenda Nova ont encore agravé la situation. Soit le juge était en congé, soit il espaçait démesurément les audiences... Les sans terre ont passés 112 jours en prison pour finalement être libérés pour absence de preuves d´accusation.

En fait, les sans terre ne comptent pour personne ! Bien plus, on leur fait une réputation de profiteurs, de paresseux, de voleurs de terres. Ils sont dénigrés. Moi, au contraire, j´ai admiré leur dignité en prison, leur idéal, leur mystique. C´est en fait pour le mieux-être de tous les Brésiliens qu´ils mènent ce combat dont la noblesse force mon admiration. Ce sont des prisonniers d´opinion que la nation, un jour, j´espère, reconnaîtra. Quand ? Quels exemples de fraternité et de solidarité !

Je rêve que dans les écoles on les montre plutôt en exemple de courage et de foi... Malheureusement, le courant d´opinion, bien orchestré, va encore pour l´instant dans l´autre sens. Un jour toutefois nos actions aboutiront et ce sera pour nous et les plus pauvres un jour de victoire et de libération. Comme prêtre, quelle est ma joie de voir des évêques au Brésil continuer à soutenir les communautés et les mouvements de la base.

Très belle Fête de Noël à chacun de vous. Heureuse nouvelle année 2004.

Père Paul.



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