Quelques nouvelles du Père Paul au Brésil (15 aout 2006)

Chers Amies et Amis,

Je suis heureux de vous envoyer ces quelques nouvelles brésiliennes que vous êtes nombreux à attendre après tant de mois de silence. Cette année, je ne pourrai pas revenir au pays en  septembre. Nous sommes en train de préparer notre Assemblée Diocésaine. Mais, si Dieu le veut, comme on dit ici, je prendrai mes vacances en janvier et février 2007 en me rendant d´abord à João Pessoa, première ville sur la côte à voir se lever le soleil, pour y vivre 10 jours de retraite avant de m´envoler vers l´Europe pour vous rencontrer et me détendre.

Je vais très bien même si j´écris plus rarement. Cartîgna n´est plus parue depuis un an mais cela ne signifie pas que je vous oublie.  Pour écrire, il faut avoir l´esprit dégagé de préoccupations.  Or cette année fut une année de nombreux conflits.  Les petites semences jetées en terre depuis 6 ans commencent à porter du fruit.   J´ai l´esprit libre et, je pense, plus qu´au début de mon insertion ici, mais en équipe nous devons concentrer toutes nos forces mentales pour réussir des combats de corps à corps, unis à tous ceux qui veulent un changement de société et une société moins inégales.  Je puise mes énergies à une source limpide, celle de nombreuses personnes proches qui connaissent mieux que moi les réalités locales et leurs enjeux.  Cela touche au religieux car pour nous Dieu a fait une option pour les pauvres et ce n´est pas n´importe quel Dieu celui de Jésus-Christ. Cela touche au politique qui selon notre vision se doit d´être au service de tous. Une commission d´enquête parlementaire a commencé ici ses investigations pour analyser les comptes de l´administration communale. C´est dire qu´il y a de graves irrégularités.

Je suis heureux et je vais très bien. Je suis engagé, en équipe, dans la lutte sociale avec les sans terre et d´autres exclus. Notre option ne plaît pas à tout le monde. Certains bons paroissiens, comme ils se présentent eux-mêmes, avaient ici un pouvoir qui aujourd´hui, à cause de notre travail pastoral d´équipe, notre détermination, notre lucidité illuminée par notre fréquentation biblique dans les communautés de base, est en train de perdre du terrain (sans jeu de mot en référence aux sans-terres). Lentement mais sûrement.  Evidemment, ces personnes font tout pour garder leurs privilèges en méprisant les droits des pauvres. L´option que nous avons choisie dans notre diocèse de Goiás est nette et sans appel.  Nous la faisons nôtre en sachant qu´en conséquence, en diverses paroisses où elle est bien mise en pratique, commence aussi la persécution des petites communautés de base. Nous affrontons quotidiennement l´arrogance et les agissements sans vergogne de ces soi-disant chrétiens de notre propre Eglise.  La lutte est âpre, serrée, inégale.  Mais nous sommes la majorité.  Une majorité que nous conscientisons chaque jour un peu plus.  Vivre l´évangile dans nos communautés de base  est un fameux dopant communautaire et personnel !  La vie d´équipe en Conseil Pastoral, Conseil constitué de personnes de confiance, et les options en faveur de la Vie nous font communier plus profondément à l´évangile des pauvres et des humbles. C´est une grande joie.

En mai, nous avons eu  la visite pastorale de l´évêque.  Ce furent 3 jours complets de rencontres, de réflexion et d´écoute des communautés.  Nous avons fait le bilan ensemble, les pieds bien sur terre. Ce fut un moment de bonheur quand toutes les pastorales sociales se retrouvèrent selon la mosaïque de toutes les confessions religieuses qui acceptent notre pluralisme.  Je pense que l´évêque a mieux  pris  conscience que tout le monde ici ne communie pas à l´option fondamentale du diocèse.  Il a pu voir de ses yeux des faits très évidents d´une réelle opposition à sa personne et à ses choix.  Il en a été marqué mais ce n´est pas la première fois que cela lui arrive.

Chaque lundi m´est un jour pour garder la forme. C´est mon jour d´évasion et de tranquilité. Je sors d´ici pour m´oxigéner au contact de la nature et me ressourcer. Je me mets en route pour rejoindre la maison d´amis, ou des lieux de solitude ou de fraternité.  Un ami visité récemment fut le Padre Chicão, le prêtre voisin qui a échappé a un attentat pour ses engagements auprès des sans terres et qui est aveugle. Mais aveugle seulement physiquement.  Il voit mieux que nous tous! J´aime le rencontrer et partager avec lui nos faits de vie, notre analyse des situations, locales, nationales, internationales...

Certains matins, à 6 heures, je prie dans une église évangélique New Age.  Je prie à leur manière qui est assez surprenante.  Avec eux et d´autres encore, nous organiserons probablement  le 1er mai 2007 notre Seconde Marche des Travailleurs traversant de nouveau toute la ville pour sensibiliser la population aux conditions de travail et aux risques de santé courrus par les ouvriers de la mine d´or du district voisin, Bacilândia, sans parler de la destruction totale de notre environnement paradisiaque.  Les deux trous de cette mine à ciel ouvert atteignent déjà 30 et 40 mètres de profondeur.

La Fête de la Cueillette organisée par la Pastorale de la Terre pour valoriser l´agriculture familiale s´est bien passée. Deux autobus d´ici, remplis de gens humbles et pauvres - c´est notre priorité d´accompagner les acampados et assentados - entourés de nos coordinateurs de communautés (Fazenda Nova : 35 communautés - Novo Brasil : 15 communautés).  Les « acampados » sont ces familles qui vivent sous des bâches de plastique ou dans de très jolis ranches faits de branchages de palmiers, comme les Indiens, au bord des routes et de ces terres qu´ils veulent se réaproprier pour vivre dignement. La terre nous est offerte par Dieu et nous a été donnée à tous, sans exception. Les « assentados » sont ces personnes qui vivent déjà des fruits de leurs propres terres reconquises en communion avec la nature.

La coupe du monde de foot a mobilisé presque tout le monde et fut un bon commerce.  Certains Brésiliens furent tristes de voir à la télévision leurs stars et leurs épouses mener la grande vie en fréquentant les hotels les plus luxueux d´Allemagne quand ici c´est la galère pour la grande majorité des gens.  Durant la coupe, tout le pays entier s´arrêtait les après-midi ou le Brésil jouait. Le pays retenait son souffle et vibrait, le regard collé au petit écran ou à l´écran géant des places publiques. Ensuite, faisait la fête, dansait et défilait dans un cortège de motos et de voitures, tonitruant dans les rues à coups de claxon, de pétards et de feux d´artifices.  L´espace d´un match, les gens oubliaient tout, la corruption, la misère, les disputes familiales, les hôpitaux sans médicaments...  La Globo a dépêché plus de 120 reporters et techniciens en Allemagne pour couvrir l´événement, tandis qu´à côté de ce triomphalisme bien organisé, naissait et mourait le Christ par milliers dans les favellas de Rio et les prisons surpeuplées de Saõ Paulo.  De nombreux chrétiens sont tristes de voir la majorité des  évêques rester silencieux face à ces drames humains.  Sans positions sociales claires et en acte. De nombreux évêques soutiennent des chaînes de télévision religieuse comme la Canção Nova et d´autres d´obédience charismatique où croire consiste essentiellement à chanter et louer le Seigneur sur tous les tons sans donner priorité aux engagements sociaux  pour un travail prophétique de conscientisation de changement radical des structures d´oppression et d´aliénation.

Puisse le projet du Règne de Dieu continuer à nous déranger. "Que la vérité soit cette lumière et cette force intérieure que beaucoup recherchent mais que personne ne peut trouver sans l'effort suprême." (Paulo COELHO). Près de chez nous, il y a des "sans-terre", des personnes ayant peu de biens mais beaucoup de dignité et un certain sens du combat solidaire. Un petit nombre occupent des églises et interpellent des communautés.  Si je vous parle des Sans-Terre bésiliens, c´est en communion avec vous qui lutez pour un autre monde possible. Que nous puissions chaque jour  ressembler davantage à ceux et celles que nous aimons, à ceux et celles avec qui nous luttons et souffrons, avec qui nous concentrons nos forces, tous ceux et celles du chapitre 25 de l´évangile selon Matthieu. Que notre amitié continue d´être simple, forte, animée du souffle de la Vie.  A « bientôt » : en janvier ou février 2007.
 

Père Paul.  Fazenda Nova, Goiás, Brésil.