Je casse la croûte, en compagnie de Bruno, au sommet de la "Serra Dourada",
la chaîne montagneuse qui entoure ma ville: Goiás

Chers Amis et Amies,
Vous êtes nombreux à me demander des nouvelles d´Eugène. Pour ceux et celles d´entre vous qui ne connaissent pas Eugène, c´est mon évêque. Mgr Eugène Rixen, originaire de La Calamine, né le 3 juillet 1944, ayant fait, avant moi, l´option du peuple brésilien. Faites le compte: né en 1944,  il a 71 ans et, je vous l´affirme, il est en super forme. Hier, il marchait en tête de notre groupe dans l´ascension de la "Serra Dourada", la chaîne montagneuse qui encercle Goiás d´une végétation luxuriante.
A chaque fête de Noël, les internes de la petite ferme de désintoxication du diocèse, avec nous, prennent la direction d´un sommet de la "Serra Dourada", cet ensemble de collines rocailleuses autour de Goiás.  Ce n´est pas bien haut. Ce ne sont pas les Alpes! A peine une heure trente d´ascension.
Au sommet, l´évêque nous demande de rester en silence, de contempler tout ce qui nous entoure et nous célébrons Noël !
C´est d´abord une très brève catéchèse fondée sur l´évangile de Luc 2, 1-20. Ensuite, vient le moment important de faire le lien avec la vie, avec notre vie ! Il questionne: "Dis-moi, Bruno, comment as-tu vécu Noël l´année passée ?" Les uns après les autres, les internes, ex-drogués et ex-alcooliques, avec confiance, simplicité et sincérité racontent où ils en étaient dans leur vie à Noël, en 2014 et encore avant! Tous, sans exception, ils étaient "au fond du puits", camés, soûls, dans la solitude affective, dans la violence du chacun pour soi, en danger d´une mort programmée due aux réglements de comptes, sans plus aucun horizon, sans aucunes autres perspectives que de voler pour se payer son crak et sa marijuana, doutant d´eux-mêmes jusqu´à l´absurde, jusqu´à, probablement, une mort proche, ou tout au mieux, pour un ixième retour en prison. Bref, en quatre mots, ils étaient déjà "morts" ! En fait !
À présent, regardez le visage de Bruno sur la photo. Confiant. Prêt à repartir dans la vie. Bien dans sa peau. Lucide sur tout ce qui l´attend demain, car pour lui, et pour tous, c´est une lutte à mener tous les jours pour ressusciter ! Et lui, Bruno, en était sorti, puis est retombé! Et à présent, il veut en ressortir de nouveau. Nous voulons tous l´aider, le consolider! Être son ami.
Regardez aussi ce paysage du "Cerrado", végétation typique et à préserver de la "Serra Dourada"! Un peu comme les fagnes ! Quelle vue ! Quel silence ! Quelle beauté ! Quelle diversité florale ! Moi-même, sur la photo, si je ne parais pas mes 58 (!) berges, Eugène, lui non plus, ne paraît ses 71 (!) Si j´en parais peut-être 45 (!), croyez-moi, Eugène, lui, en paraît à peine 55 (!)
En boutade, au sommet, pique-niquant ensemble avant de redescendre le coeur léger, Eugène me disait: "Avec ceci, pas besoin d´aller chez le cardiologue!" Ce à quoi je lui répondais: "Si, j´y vais tous les ans! Mais quelle joie d´entendre, à la fin des examens, le cardiologue me dire en regardant les diagrammes: "Monsieur, tout est OK! Votre coeur est en parfait état! " Sourire d´Eugène.
En marchant avec ces ex-drogués, ces "marginalisés", je me disais: "Quel Noël extraordinaire suis-je en train de vivre ici, une fois de plus !"
La création de la ferme de désintoxication a été une décision d´Eugène dès son arrivée comme évêque à Goiás. Il a convaincu d´autres personnes pour être solidaires. Nous sommes une équipe d´amis et d´amies qui partageons de nombreux soucis, il va sans dire. Mais surtout de très nombreuses joies vécues dans la sincérité de la vie. Ici, pas de masque comme dans "la belle société". Nous vivons de très nombreux "petits bonheurs" qui s´additionnent comme un collier de perles! Des bonheurs, des perles, dans les larmes et les combats quotidiens!
Ces jeunes, souvent appelés délinquants, selon leur âge, ce sont les fils ou les petits-fils d´Eugène ! Bientôt, il aura aussi des filles et des petites-filles. Car, oui, la construction d´un centre féminin de désintoxication a commencé. C´est déjà une nouvelle aventure pleine de promesses et de richesses.
Toujours, Eugène s´est préoccupé de personnes en marge ! Déjà comme jeune vicaire à Welkenraedt, en Belgique, il accueillait des jeunes paumés dans son presbytère au grand damme de son curé qui ne "comprenait" pas et qui lui laissait sous-entendre qu´il y a des "institutions" prévues pour faire cela (sic) et que le travail du prêtre était "essentiellement" de prendre soin des paroissiens... qu´il délaissait.
Mais, il y a 2000 ans, un certain Jésus de Nazareth a raconté cette histoire d´un berger qui, tout simplement, a "abandonné" 99 moutons pour aller rechercher le mouton rebelle qui manquait dans le troupeau et qui était perdu, tout seul dans la montagne, abandonné à lui-même ! Abandonné à ses illusions, aux multiples dangers de la société où l´homme est un loup pour l´homme, abandonné à ses phantasmes, à ses désirs de puissance... Abandonné et parfois gravement blessé.
Pour nous, c´est une question de choix. Une question de faire ce qui nous tient à coeur pour être heureux. Une question de faire ce qui nous fait vraiment vivre ! Pour être heureux, il faut rendre les autres heureux. Être heureux ensemble. "Ne jamais être heureux sans les autres" disait l´Abbé Pierre.
A présent, lorsque je vous dis qu´Eugène est en super forme, je ne parle pas seulement de sa forme physique. Je parle aussi de sa forme spirituelle. Elle se traduit, entre autre, par sa sympathie! Une sympathie pour tous, sans exception. C´est très interpellant de vivre auprès d´un homme qui a ses qualités et ses défauts mais qui met en oeuvre au coeur de ses relations une volonté d´être bon, sympathique, souriant, accueillant et disponible.
Je l´ai accompagné avant-hier, dans une école occupée par des élèves qui tentent, avec quelques professeurs, de s´opposer au projet de privatisation d´écoles de l´État au bénéfice d´entretreprises privées (sic)! Le conflit est dur ! Il se vit à São Paulo, à Goiânia et chez nous, à Goiás. Il est du genre "David contre Goliath" ! L´enjeu est fondamental. Après avoir écouté les revendications et pris la mesure des dégâts futurs qui seront occasionnés à l´Enseignement dans son ensemble, un monde de l´Enseignement déjà bien mis à mal, Eugène a décidé d´écrire une lettre circulaire, qui sera diffusée largement, donnant clairement sa position et son total appui aux revendications. Il a aussi dit que la radio du diocèse était toute à la disposition des "grévistes" pour faire passer leurs messages.
Sa sympathie est une sympathie animée par une grande lucidité, une volonté de comprendre, pour ensuite s´engager sur le terrain. La lettre d´Eugène ne plaira pas au "tout-puissant" Gouverneur de l´État de Goiás, Mr. Marconi ! Ça, c´est sûr et certain !
Beaucoup me disent, à présent et sans reproche, qu´en Belgique aussi, il y a des pauvres et des problèmes sociaux ! Malheureusement ! C´est clair. Il y a beaucoup à faire, partout. Nous n´aurons jamais fini !
Je suis touché par les mots de mon ami Michel, prêtre en Belgique, qui m´écrit: "Cher Paul, merci pour ton message de Noël qui est pour nous interpellant! Oui, la préoccupation des pauvres est certainement permanente chez vous et, même si ici aussi il y a des problèmes, je sais que c´est sans comparaison! Tu réveilles nos solidarités et attentions. En tout cas, je te redis mes fraternelles amitiés et tous mes encouragements pour ton travail en "périphérie". Que le Seigneur lui-même soit ta joie et ta force! Avec ma prière et mes encouragements, Michel."
Et ce court message d´un autre ami, également prêtre, Philippe, qui me répond ce qui suit: "Paul, bonjour et merci pour ton message de Noël. En Europe aussi, nous fêtons Noël. On s´efforce aussi de le vivre avec les plus nécessiteux. Bien à toi, Philippe."
Noël: n´est-ce pas cela ? Et n´est-ce pas cela "tous les jours" ? Chacun et chacune, là où nous vivons, nous pouvons ouvrir les yeux et offrir notre coeur, notre tendresse. (1)
C´est d´abord le "coeur" qui est touché. Ensuite, c´est notre intelligence pour mettre en oeuvre concrètement des actions et des stratégies avec nos mains et nos pieds, et ce, surtout, en le faisant toujours avec d´autres personnes solidaires. (2)
Des personnes de tous les bords animées pour faire le bien et pour aider selon leurs possibilités, grandes ou humbles. Finalement, il n´y a de joie que dans le don. L´égoïsme nous assèche le coeur et nous tombons dans la tristesse du matérialisme. Ici, en temps de grande chaleur lors de la saison sèche, j´ai déjà vu des ruisseaux assèchés! Quelle désolation ! Pas une goutte d´eau là où, quelques semaines avant, courait encore, joyeux, un ruisseau d´eau claire avec "sa mélodie", son clapotis d´eau battant les pierres. Il n´y a de joie que dans le risque. Les assurances "sans fin" tuent la vie et donnent l´illusion de la protéger.
Eugène nous donne l´exemple de travailler avec tous ceux et celles qui acceptent les défis qu´il propose. Il sait se faire convainquant et arrive souvent à ses fins car il nous prend par les sentiments, par le coeur, la générosité, le don de soi. Il ne force pas. Il propose fermement, avec "son" bon sens et "sa" logique. C´est agréable de travailler avec lui parce qu´il est sympathique et ponctuel. Pour lui, une parole donnée reste une parole donnée. Pour lui, travailler en groupe est une richesse et travailler en équipe est exigeant. Cela demande fidélité, beaucoup de sagacité et de détermination. Bref, cela exige de nous d´être en forme spirituellement. Selon Eugène, c´est fondamental, surtout pour s´en sortir de la drogue et de tous les vices de la vie.
Une fois par mois, environ et sans hésiter, certains diraient: "Sans complexe", il passe une semaine en dehors de son diocèse. Il nous lâche et va "prêcher" une retraite dans un des coins du Brésil. Ainsi, se garde-t-il lui-même en forme spirituellement. Quant à "son" diocèse, qui n´est pas le "sien" mais qui est le "nôtre" et surtout "celui de Dieu", il va et continue son chemin.
Parfois, on est découragé. Parfois, on est épuisé. Parfois...
Mais Noël est un formidable message spirituel ! Et on sait qu´une sorte de grâce, comme un souffle léger, vient et revient sans cesse pour nous vivifier. C´est ce souffle léger, qu´hier, au sommet de la "Serra Dourada", après tant d´efforts pour grimper et arriver au but, nous avons tous ressenti, une fois de plus. Il suffisait seulement de nous mettre en route. De décider de grimper. "Allez, on y va!"
Sans savoir ce qui allait nous arriver une fois de plus. Nous y sommes allés. avec seulement cette conviction, cette certitude: "Nous allons vivre une expérience hors du commun, un vrai Noël!"
A présent, je vous souhaite du fond du coeur, avec tendresse, sagacité, détermination, fidélité, et risques en tous genre, une féconde année 2016. Une année au grand air de l´Esprit, une année très belle, passée au grand vent du large !
Paul

(1): On peut vivre sans richesse, chantait Bourvil. Mais vivre sans tendresse, c´est impossible.
(2): Je repense souvent à l´asbl "Fleur", à Liège, et au Mouvement "ATD-Quart-Monde" que j´accompagnais modestement en Pierreuse, à Liège. Que d´expériences enrichissantes j´y ai partagé. Et que d´amitié. Et que d´entraide.
Important :
1. Si vous souhaitez m´envoyer une lettre, voici mon adresse:

Padre Paulo WAFFLARD
CAIXA POSTAL 40
Rua Santa Rita, 32
Bairro João Francisco
76.600-000 Goiás (GO) - BRÉSIL

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WAFFLARD Paul
Grand´Place, 5
4280    HANNUT

Et encore, merci pour TOUT !