Une appréciation paru dans "Rencontre" avril 2004
Exceptionnellement, nous allons parler d'un Thinois qui vient de disparartre, inopinément, Maurice NIHOTTE.  Tout le monde connaissait Maurice, une « personnalité» de notre village, à sa façon bien à lui. Sa mort n'a laissé per­sonne indifférent! Lors des funérailles qui ont rassemblé une foule sincèrement émue, Bruno, son voisin, a évoqué avec justesse et amitié, un homme simple qui faisait partie de notre quotidien et de notre paysage..,   Beaucoup ont souhaité que ce « portrait» paraisse dans Rencontre; leur vœu est réalisé, comme l'expression d'un dernier « au revoir!» à l'ami Maurice. M.H.
Chers amis,
Je souhaite vous parler de Maurice, tel qu'il était, à travers quelques souvenirs...
Chaque dimanche, depuis près de 25 ans, je frappais à sa porte, ses «pistolets» sous le bras. Et chaque dimanche, la même réponse: « Entrez, si c'est pas l'diab !» Maurice m'accueillait alors avec un large sourire et une poignée de main à vous estropier. A peine assis, je devais faire face à sa question, tradition­nelle elle aussi: « Qué diss ? » Nous évoquions alors le vécu ordinaire de la semaine écoulée et, parfois, de vraies nouvelles récoltées chez Elisa, avec qui il partageait quelques minutes et un bout de comptoir, le sa­medi matin, en faisant ses courses. Puis la conversation laissait une bonne place au temps trop humide, trop sec, trop venteux, aux travaux agricoles en cours, aux villageois décédés, dont il ne connaissait pas toujours les noms et dont il essayait, la plupart du temps vainement, de me dire où ils habitaient.
Car Maurice avait du mal à s'exprimer. C'est vrai qu'à part le souvenir vénéré du (f Malsse Re­quette », quelques années d'école primaire n'avaient pas laissé beaucoup de traces chez un élève plus manuel qu'intellectuel, plus avide d'espaces libres et de liberté que d'apprentissages subtils et ennuyeux: lire, écrire, compter n'étaient plus qu'un lointain souvenir de son enfance, que les années rendaIent plus pâle encore.
C'est ainsi qu'il me demandait de remettre sa montre à l'heure, que, régulièrement, il me faisait lire et lui expliquer le contenu d'une convocation, les directives d'une administration quelconque, parce qu'il ne comprenait rien à ce charabia... au poInt qu'il avait laissé à Gilbert le soin de s'occuper de ses papiers, de ses dossiers, comme Pierre l'avait fait quelques années auparavant,' c'est ainsi encore, que Maria gérait ses sous... toutes personnes à qui il faisait totale­ment conflance. Sans oublier, bien sûr, ses voisins d'en face, Claire, Edgard, Emile, Arlette, De cette dernière, il parlait comme de la sœur qu'il n'avait pas eue. D'ailleurs, quand on lui demandait son âge, invariablement la réponse fu­salt" « Comme Arlette» " c'était aussi la même année et le même mois que Pierre, en juin 1943, Comme Nelly, à une autre période de sa vie, la famille du forgeron a ainsi veillé à ce que Maurice soit toujours habillé et chaussé propre­ment, nourri, chauffé, soigné quand c'était nécessaire, parfois, même à son corps défendant, C'est chez eux qu'il entrait sans frapper chaque fois qu'un problème se posait, insoluble pour lui,..
De tout ceci, ce qui frappe c'est que Maurice était le centre d'une toile de solidarité discrète, disséminée, mais très êfficace et fldèle. C'est cette soli­darité villageoise qui lui a permis de faire son petit bonhomme de chemin dans la vie, de vivre chez nous, chez lui, durant soixante ans, C'est également cette solidarité qui lui a permis de passer un moment très dif­ficile quand sa maison délabrée s'est effondrée et qu'il passa quelques nuits dans une maison d'accueil. Que de larmes versées alors par un homme déraciné, perdu, qui ne souhaitait qu'une seule chose, revenir dans sa vallée, auprès de ses voisins et amis qui constituaient sa famille de coeur, Grâce, encore une fois, à cette solidarité que je viens d'évoquer, ce cataclysme a été suivi de longues années de vie paisible dans sa caravane, propre, bien chauffée, avec des repas réguliers. .. dans la dignité, surtout, que mérite chaque être humain même le plus humble... J'ose parler d'années de bonheur, un bonheur simple à /'image de celui qui le vivait au jour le jour, en sifflotant, en ratissant le gravier dans sa cour, en ramassant les feuilles du saule pleureur qui envahissaient son domaine, en discutant avec les ouvriers de chez Gilbert et avec les cultivateurs qui s'approvisionnaient en eau à la source... Une vie ordinaire et discrète.,.
Discrète? Le mot n'est pas tout à fait exact car Maurice n'était pas un saint : impossible d'oublier ses colères suffocantes quand il se sentait agressé, ses bouderies quand on osait le contredire, ses cuites mémorables au retour du marché ou du football où quelques personnes peu scrupuleuses n 'hésitaient pas à abuser de la naïveté d'un homme qui n'avait pas notion de l'argent... Non Maurice n'était pas un saint! Mais qui d'entre nous peut prétendre l'être, nous qui cachons de notre mieux des défauts que Maurice, lui, exposait sans tricher!
 Illettré, il l'était, d'accord! Mais, à sa façon il n'était (( nin biesse )). En effet par exemple, il fallait le voir
jouer aux cartes, finement! Quant à moi, j'ai toujours été stupéfait de sa capacité à faire la part des cho­ses: il avait besoin de moi, il m'appelait « copain! » ; je lui demandais un service, alors il me répondait « Oui chef! Bien, Monsieur le Directeur! ». Il bêchait bien les jardins; nombreux parmi nous ont bénéficié de ce service auquel il n 'hésitait pas à ajouter quelques conseils, souvent judicieux en ce qui me concerne, sur l'entretien du potager et des pelouses. . .
 Maurice était aussi fidèle. Fidèle en amitié d'abord! Oui, il avait des amis, (( ses gens )), avec qui il parta­geait une complicité amicale, rugueuse comme les mains d'un travailleur, meurtries au contact de la pelle, de la fourche, de la pioche, du marteau ,. une complicité amicale, mais pas à sens unique, non un vérita­ble échange: frustre diront certains, sans doute mais vraie, répondrai-je. Fidèle à sa foi, également, la foi du charbonnier, sans questionnement, héritée de son enfance, qui lui faisait se faire beau pour la messe du dimanche à laquelle il ne manquait jamais. Rappelons-nous aussL le zèle et la fierté qu'il mettait dans son rôle d'avant-garde de la procession...
Dimanche dernier, la porte de la caravane est restée fermée. Un peu avant moi et mes « pistolets )),
un peu avant Arlette et Emile qui ont découvert Maurice, sans vie mais serein la mort était passée, « serrant l'huche )) à jamais, cette mort qui enterre les secrets mais déterre les souvenirs tels que ceux que je viens de vous livrer sur fond de tristesse... de tristesse et de reconnaissance: merci, Maurice, pour ce que tu étais au
sein de notre communauté villageoise, un de ces gens d'ici qui méritent leur nom et qui nous manque déjà.
Maintenant, je m'adresse à vous, Jésus et Marie: nous comptons sur vous, pour trouver à Maurice un petit coin'de paradis, en campagne si possible, où il pourra partager le reste de l'éternité avec sa chère maman dont la seule évocation baignait ses yeux de larmes et de tendresse... Bien merci à vous!
Cher Maurice, au nom de tes voisins et amis, au nom de cette assemblée et de notre communauté thisnoise, je te dis, avec beaucoup d'émotion: « Salut copain! »
Bruno Heureux