Extrait de octobre  2003
DES GENS D’ICI !  Anne-Cécile Derbaudrenghien
Errances au pays de la femme...
A la rencontre d'Anne-Cécile Derbaudrenghien
Ce vendredi soir, à l'entrée de l'éspace d'Art du Château Mettin à Hannut, l'hôtesse est grande, belle, stylée et tout sourire; pourtant, elle reste discrète en introduisant les visiteurs au pays de son imaginaire, les laissant errer à leur gré à la découverte de ses dessins grand format. « Peintre? A ce terme, que je réserve à de grands artistes, je préfère celui de dessina­trice qui correspond mieux à ma démarche et à ma formation. )) Effectivement, cette fille de professeur de dessin a suivi, après des humanités tout ce qu'il y a de plus « classiques », une double formation: l'illustration, en étudiant les arts plastiques àSaint-Luc à Liège, et le stylisme, en cours du soir. Deux aspects que l'on retrouve dans les œuvres d'Anne-Cécile Derbaudrenghien. Œu­vres qui, au premier abord, laissent parfois perplexe: qu'est-ce? pourquoi? comment? '" Car 'expression parfois inattendue d'Anne-Cécile a de quoi surprendre: là où, comme support, ({ l'académisme}) prônerait la toile sur cadre, l'artiste thisnoise adopte le plus souvent le papier sans cadre. « J'ai la volonté affirmée de prendre mes distances par rapport aux idées reçues et au confor­misme scolaire: cela donne plus de liberté àma créativité... )) C'est vrai que ce choix peut étonner: dessiner et peindre sur papier, au risque que ce dernier gondole et conserve la trace de quelques traînées de couleur, sort de l'ordinaire; comme est originale l'utilisa­tion de techniques personnelles et de maté­riaux comme le mousse épais et la feutrine. Anne-Cécile est autodidacte et ses recher­ches, faites d'essais et d'erreurs mais aussi de réussites éclatantes, en font une artiste originale qui mérite d'être mieux connue et appréciée.
C'est dans cet esprit Qu'après avoir as­sisté au vernissage de l'exposition, je suis re­tourné à l'Espace d'Art, deux jours plus tard, pour regarder ces œuvres avec plus d'attention. Et là, j'ai eu la chance d'avoir la guide rien Que pour moi; elle m'a ouvert les yeux sur certains aspects de son œuvre, que j'avais devinés sans en soupçonner la profondeur.
Parmi eux, le rôle essentiel de la femme dans les créations de la jeune artiste, avec ses mystères profonds et ses contradictions. " Lorsque, par exemple, je dessine une femme dans une main ouverte, j'exprime son désir se­cret et son plaisir d'être protégée, prise, ca­ressée ; mais d'un autre côté, cette même femme a un besoin profond d'exister par elle­même, indépendante de l'homme... Féminiténe veut pas dire soumission, mièvrerie, mais signifie liberté et force... Oui, la femme repré­sentée dans mes dessins me ressemble mais n'est pas le fruit d'une introspection de type psychiatrique; c'est simplement l'expression d'une façon dont je ressens et veux vivre ma féminité."
Une autre composante se retrouve en fil rouge dans les compositions d' Anne-Cécile : la dérision, l'autodérision : " Dans mes dessins, je n'ai pas la prétention de traiter les grands problèmes du monde ni de disserter sur la condition féminine en général. Par contre, au travers de mes expériences douloureuses ou couronnées de succès, j'aborde ces problèmes dans mon microcosme à moi, avec beaucoup de recul et de dérision sur ce que je vis.. " Ce souci de relativiser les choses est tel chez Anne-Cécile qu'une de ses œuvres reprend in extenso une citation de Coelo, l'auteur de L'Alchimiste, qui exprime avec beaucoup de justesse  l'humilité de l'artiste thisnoise par rapport au événements qui jalonnent sa vie de femme: " Il n 'y a pas de tragédie, il y a seule­ ment l'inévitable; tout a sa raison d'être, c'est à toi de distinguer ce qui est passager de ce qui est définitif " ...
S'il y a matière à réflexion dans ces quelques mots bien pesés, il y a aussi beaucoup de plaisir dans la rencontre enrichissante d'Anne-Cécile, une artiste vraie dans ses œu­vres et dans son langage, bien dans sa tête, qui croque la vie à pleines dents, qui dessine sans arrière-pensée mercantile, spontanément, sans souci de plaire, personnelle et émou­vante, en un mot, profondément femme; cc Femme jusqu'au bout des seins )) comme chantait Sardou? Plus discret, je dirais plutôt jusqu'au bout de son crayon, de son pinceau, traducteurs d'émotions, et de son sourire ac­cueillant, invitation, Qui ne se refuse pas, àQuelques errances au pays de la femme.
Bruno Heureux